samedi 14 mai 2011

La lettre de Youri Gagarine à sa femme Valentina en cas d'échec de Vostok 1


Ce 12 avril 2011, avec le 50ème anniversaire du vol de Youri Gagarine, nous apprenions que les derniers documents encore classifiés au sujet de ce vol, étaient disponible pour le grand public.

Le document le plus important et le plus émouvant est certainement la lettre écrite par Youri Gagarine, deux jours avant son vol, qui ne devait être remise à sa femme Valentina que s'il y avait eu un problème. Le vol s'étant bien terminé, la lettre ne fût pas ouverte en 1961, mais en 1968, après la mort de Gagarine.

Voici donc cette lettre, traduite par Yves Gauthier, traducteur, écrivain, mais aussi et surtout, auteur d'une magnifique biographie en français sur Youri Gagarine : Gagarine ou le rêve russe de l'espace. Pour beaucoup d'amateurs et de spécialistes de l'exploration spatiale et de sa conquête, Yves Gauthier peut être considéré comme le biographe français de youri Gagarine.



Mes chères, mes tendres petites Valétchka (sa femme Valentina), Lénochka (sa fille ainée Eléna) et Galotchka (sa fille cadette Galina) !

Je me décide à vous écrire ces quelques lignes pour me confier et vous faire partager la joie et le bonheur qui m’échoit aujourd’hui. La commission d’état a décidé de m’envoyer le premier dans l’Espace. Tu imagines combien je suis heureux, Valioucha, et je tiens à partager ce bonheur avec toi. Une mission d’Etat aussi grande confiée à quelqu’un d’aussi simple que moi : ouvrir le premier chemin dans l’espace !

Peut-on seulement rêver mieux ?

Car enfin, c’est l’histoire en marche ! Une ère nouvelle qui commence !

Le départ doit se faire après-demain. Vous serez pris par vos occupations habituelles pendant ce temps. C’est une grande tâche qui repose sur mes épaules. J’aimerai passer un petit moment avec vous avant cela, et qu’on se dise des choses. Mais vous êtes loin, hélas. Et pourtant je sens toujours votre présence à mes côtés.

Côté technique, ma confiance est totale. Il ne doit pas y avoir de mauvaise surprise. Mais il arrive qu’on se casse le cou en tombant sur un sol impeccable. Là non plus, je ne suis pas à l’abri d’un pépin quelconque. Et pourtant je n’y crois pas. S’il m’arrive quoique ce soit, je vous demande à vous toutes et surtout à toi, Valioucha, de ne pas mourir de chagrin. La vie est ainsi faite et nul ne peut jurer qu’il ne sera pas écrasé demain par une voiture. De grâce, prends soin de nos fillettes, aime-les comme je les aime. N’en fais pas des chochottes, des p’tites fifilles à leur maman, mais de vraies personnes qui n’aient pas peur des mauvais coups de la vie. Tu élèveras des filles bien, dignes d’une société nouvelle, du communisme. L’État t’aidera. Pour ce qui est de ta vie privée, tu la refera en conscience, comme tu le jugeras bon. Je ne te lie à aucune obligation, je ne m’en sens pas le droit. Ma lettre tourne un peu trop au deuil. Moi-même je n’y crois pas. J’espère que tu ne recevras jamais ces mots et que j’aurai honte devant moi-même de cette faiblesse passagère. Mais s’il arrive quelque chose, tu dois tout savoir jusqu’au bout.

À ce jour, j’ai vécu honnêtement, dans le juste chemin, en rendant service aux hommes, quoique d’une modeste façon. Je me souviens d’avoir lu ces lignes de Tchakov, il y a longtemps dans mon enfance : Tant qu’à être, mieux vaut être le premier. Je m’efforce de l’être et je le serai jusqu’au bout. Ce que je veux, valétchka, c’est dédier ce vol aux hommes de la société nouvelle, les hommes du communisme dans lequel nous sommes d’ores et déjà en train d’entrer, à notre gransd pays, à notre science.

J’espère que nous serons réunis de nouveau d’ici quelques jours et que nous serons heureux.

Valétchka, s’il te plaît, n’oublie pas mes parents, aide-les si tu le peux. Transmets-leur mon affection, qu’ils me pardonnent de pas avoir été mis au courant, parce que de toute façon ce n’était pas permis. Voilà, je crois que c’est tout. Au revoir mes chéries. Je vous embrasse de toutes mes forces, votre papa et Youra.


10 avril 1961